Dans « Le bal des femmes folles » (initialement intitulé : « Le Bal Des Folles »), l'oppression patriarcale à la fin du XIXe siècle en France prend une forme institutionnelle palpable, parfois bizarre et parfois tout simplement scandaleuse. Melanie Laurent peint son film centré sur les femmes avec une palette stimulante, intense et impressionnable qui accroche le public du début à la fin. Alors que le film met en lumière un chapitre sombre de l'histoire de la science médicale, il inaugure une révolution contre des siècles d'oppression sur la subjectivité féminine.
L'histoire, empruntée au roman principal de Victoria Mas, suit Eugénie, une femme psychique franche et rayonnante qui est admise dans un tristement célèbre asile après avoir confié ses pouvoirs surnaturels à ses proches. Dans l'institution, elle se lie d'amitié avec l'infirmière en chef, et ensemble, ils doivent trouver un moyen de sortir de l'étrange dystopie.
Le drame d'époque impeccablement conçu est guidé par une partition sombre et un travail de caméra méditatif. La fin est douce-amère alors que la protagoniste survole le nid du coucou, laissant ses amis derrière elle. Si vous cherchez à vous remémorer les derniers moments en détail, entamons une discussion approfondie. SPOILERS À VENIR.
Eugénie est une femme du nouveau monde – passionnée, franche, pleine d'énergie refoulée. Elle a un frère aimant en Théophile, qui l'encourage dans toutes ses activités. Cependant, le régime oppressif de son père, comme son corset, lui pèse souvent lourd. Lorsque son amie de la famille Hortense est excitée à l'idée d'être présentée à un bal de la haute société, Eugénie est typiquement condescendante.
En lisant un livre, elle rencontre le charmeur Ernest dans un café, insistant sur le fait qu'elle le regarde. Cependant, Eugénie regardait en fait le livre qu'Ernest lisait, et sans trop y penser, Ernest lui prête au lecteur une note personnelle. Eugénie trouve une consolation dans le livre - 'Le livre des esprits' - car il lui a redonné foi en ses pouvoirs psychiques. Nous savons qu'Eugénie voit des apparitions et des esprits, et elle a été amenée à penser que ce n'est pas naturel.
Cependant, le livre la rassure sur l'existence des fantômes. Après avoir retrouvé le collier perdu après 40 ans, Eugénie s'est confiée à sa grand-mère sur ses visions. Cela s'avère être une décision mal calculée car le lendemain, François et Théophile l'emmènent au tristement célèbre asile de la Salpatrière. A l'asile, elle se lie d'amitié avec d'autres filles et se rend compte que les médecins les rendent plus dérangées au nom de les guérir.
Situé dans la France de la fin du XIXe siècle, dans l'atmosphère sombre de la Salpêtrière, la première chose que l'on remarque est que tous les détenus sont des femmes, tandis que tous les médecins sont des hommes. A l'origine usine de poudre à canon, le bâtiment a été transformé par Louis XIV en hôpital, principalement pour soigner les femmes souffrant d'épilepsie, de handicaps intellectuels et physiques. Lors de l'examen précoce, l'infirmière en chef Geneviève déclare Eugénie en assez bonne santé. On se rend vite compte qu'Eugénie possède des pouvoirs psychiques qui échappent à la rationalité scientifique.
Les femmes sont traitées comme des rats de laboratoire par le médecin-chef Charcot et son équipe d'étudiants en médecine apparemment qualifiés. Après avoir protesté, Eugénie se voit prescrire le traitement à l'eau froide, suivi du traitement à l'eau chaude. Les médecins utilisent également l'hypnose comme remède, et leurs méthodes se révèlent peu fiables et même brutales dans un contexte du 21e siècle. Après un traitement minable, Camille, co-patiente d'Eugénie, développe une tétraplégie partielle.
La vue brise Eugénie, et comme elle peut voir à travers la façade patriarcale du décorum et des manières socialement acceptables, cela lui fait encore plus de peine. Elle accuse Charcot et d'autres médecins de catalyser la folie plutôt que de la guérir, et à son tour, est envoyée dans les vieilles cellules claustrophobes de l'hôpital. Après la preuve, Geneviève se range du côté d'Eugénie, mais alors que son dossier est confié à l'infirmière sans cœur Jeanne, Geneviève se retrouve impuissante.
Jeanne a un air menaçant autour d'elle, et à première vue, elle se présente comme une sociopathe. Le deuxième coup d'œil ne fait que solidifier la croyance. Cependant, Eugénie peut aussi la briser, même momentanément. Elle voit à juste titre la mère de Jeanne admise dans le même hôpital, mais ce n'est pas un secret, selon Jeanne. Quand Eugénie lui dit qu'elle sait ce que la mère de Jeanne a fait à son fils, Jeanne fond en larmes. Mais elle se ressaisit rapidement et commence à torturer Eugénie à la place.
Jeanne est mal à l'aise avec ses émotions et son action erratique en dit long sur son moi refoulé. À ce stade, nous réalisons qu'Eugénie n'a aucune anomalie psychologique - elle est plutôt une voyante. À l'époque médiévale, les ascètes excentriques étaient vénérés comme des visionnaires et des médiums. Ils pourraient puiser dans le royaume du sublime. La représentation a changé après les Lumières, comme un jeu d'exclusion a été joué pour dogmatiser le psychologiquement déviant. Cependant, le bal titulaire de la finale met en lumière ceux qui ont réellement besoin d'être guéris. Foucault souligne dans son prophétique « Folie et civilisation » que l'attachement à soi de l'homme lui fait finalement accepter la violence et la laideur comme beauté et justice, ce qui lui impose une réalité illusoire.
Le Dr Jules cajole Camille dès les premiers instants, et ses véritables intentions se manifestent au bal. Contre la volonté de Camille, il l'emmène dans une pièce vide et tente de s'imposer à elle. Camille hurle et hurle, mais la bête en Jules ne la lâche pas. Il commence à la violer mais est dissuadé de son acte diabolique alors que Geneviève fait irruption dans la pièce. Avec ces événements bouleversants, Geneviève se rend compte que ce que le patriarcat tient à qualifier d'hystérie, c'est la volonté féminine de s'affirmer. Concluant Eugénie pour être parfaitement sain d'esprit, elle organise un plan d'évasion pour elle.
Geneviève traite initialement Eugénie de la même manière que les autres, mais après qu'Eugénie ait divulgué une vérité pertinente sur la sœur de Geneviève, l'infirmière en vient à réaliser les capacités uniques d'Eugénie. Suite au décès de sa sœur Blandine, Geneviève a écrit des milliers de lettres à la défunte. Personne ne peut le savoir, mais Eugénie semble voir clair dans Geneviève. L'infirmière est d'abord sceptique, mais Eugénie communique avec Blandine pour prédire à juste titre l'accident du père de Geneviève, et Geneviève se précipite à la maison pour découvrir son père en train de saigner.
Le père de Geneviève la presse de laisser échapper le miracle qui l'a envoyée, mais quand Geneviève lui dit la vérité, il la rejette volontiers et traite Geneviève de folle. Découragée par son père, Geneviève se rend compte que le mécanisme disciplinaire de l'institution est guidé par un patriarcat aveugle. Ainsi, alors que son père rejette volontiers le miracle en apparence irrationnel, Geneviève fait confiance à Eugénie. Elle communique secrètement avec Théophile et lui demande de venir au bal.
Geneviève aide Eugénie à s'échapper tout en en prenant elle-même le poids. Maintenant, avec l'acte, Geneviève est diagnostiquée comme malade mentale, et dans un tournant du destin, purge sa propre peine à l'asile. Eugénie lui écrit une dernière lettre, où elle exhorte Geneviève à continuer de danser. Danser ici est aussi symbolique puisque si une femme du XIXe siècle doit danser sur les airs d'un justicier patriarcal, elle réaffirme sa liberté artistique à travers l'acte créatif de la performance.