La gentillesse est souvent comprise ou abordée comme une qualité, une action ou un trait de caractère positif. Les individus qui le possèdent sont considérés comme « bons », tandis que ceux qui en manquent sont considérés comme « mauvais » dans notre vie de tous les jours. Le film d'anthologie absurde de Yorgos Lanthimos Sortes de gentillesse » tente de déconstruire cette compréhension généralement acceptée de la « gentillesse ». Les récits des trois courts métrages qui composent le film tentent de montrer clairement que la gentillesse peut exister non seulement de manière positive mais aussi négative ou carrément cruelle. Le titre du drame aborde ces différents types (types) de gentillesse, qui peuvent être explorés à travers la relation entre les personnages principaux de chacun des trois courts métrages ! SPOILERS À VENIR.
Dans le premier film de l'anthologie, « La mort de R.M.F. », Raymond est un homme d'affaires qui contrôle tous les aspects de la vie de Robert, son employé. Le premier décide ce que le second doit manger, avec qui partager sa vie et quand il doit avoir des relations sexuelles avec son partenaire. La domination de Raymond sur Robert est tout simplement toxique et écrasante. L’employé se voit refuser le libre arbitre et l’indépendance, deux des caractéristiques les plus significatives de l’existence moderne. On peut même voir le patron comme un personnage sans compassion qui manque ne serait-ce qu'un peu de gentillesse lorsqu'il exerce son influence sur son subordonné, même sur des affaires insignifiantes.
Cependant, Robert ne voit que de la gentillesse dans sa relation avec Raymond. L'employé aborde sa vie sans liberté comme étant disciplinée, opulente et extrêmement désirable. Lorsque son patron l’abandonne et le remplace par Rita, c’est l’influence de la première sur sa vie qui lui manque le plus. Raymond laisse Robert libre de vivre comme il l'entend, mais l'indépendance qu'il obtient ne fait que rendre sa vie misérable et plongée dans la solitude. Alors que nous interprétons les actions de l’homme d’affaires comme toxiques, son employé les considère comme gentilles. C’est pourquoi il tue même un homme pour se remettre avec son patron sans voir la méchanceté présente dans le crime qu’il commet.
Pour Robert, la gentillesse existe comme contrôle. Il veut que Raymond dicte et influence ses actions. Il ne veut pas assumer la responsabilité de vivre seul une vie complexe, qui est pour lui solitaire et épuisante. Lorsque l'homme d'affaires accepte enfin le retour de Robert, on peut le voir se blottir contre lui et sa femme lorsqu'il était bébé. Il reçoit l’affection d’un père de la part de son patron, ce qui remet en question la compréhension traditionnelle de la « gentillesse ».
Dans « R.M.F. Is Flying», le deuxième court métrage de l'anthologie, Daniel est convaincu que Liz, la femme qui revient dans sa vie après une expédition de recherche, n'est pas sa femme. Même si elle ressemble et vit exactement comme sa compagne, le policier ne peut pas l'accepter comme sa meilleure moitié. Ainsi, il entreprend de la punir en exigeant de manière barbare des plats préparés avec des parties de son corps. Même lorsque Daniel lui fait du mal, Liz lui sert d'épouse dévouée et gentille. Lorsqu'il demande un plat de chou-fleur préparé avec son pouce, elle le lui prépare. Elle confronte même son père lorsqu'il partage sa colère envers son gendre.
Dans notre vie de tous les jours, la gentillesse n’est pas quelque chose que nous associons à la cruauté ou à la barbarie. C’est souvent agréable tant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit. Quelqu'un qui exprime une telle qualité améliore sa vie autant que la personne qui en est la destinataire. Cependant, dans le cas de Liz, son acte de gentillesse implique la barbarie. Elle doit se couper le pouce et être soumise à des violences domestiques pour rester une épouse bienveillante. La scientifique perd même son bébé à naître parce qu’elle se montre gentille envers son mari. Finalement, Daniel lui fait retirer son foie, ce qui la tue.
Liz meurt parce qu'elle veut être une gentille partenaire qui prépare un repas nutritif pour son mari en extrayant un organe vital de son corps. Sa gentillesse la tue, nous faisant nous demander si la qualité désirable peut être brutale ou mortelle. Ses actions remettent en question l’idée reçue selon laquelle les actes de gentillesse ne peuvent qu’ouvrir la voie à des résultats positifs.
Semblable à Robert, Emily trouve de la gentillesse dans la manipulation d'Omi et Aka. Les dirigeants d’une secte sexuelle anonyme se présentent devant leurs adeptes comme des figures divines, contrôlant des aspects importants de leur vie. Les deux gourous spirituels empêchent Emily et le reste du groupe d'avoir des relations sexuelles avec leurs partenaires ou conjoints, régissant leur vie intime. La manipulation peut nous paraître toxique et problématique, mais c'est une expression de bienveillance pour Emily. Elle veut qu'Omi et Aka contrôlent sa vie et gouvernent ses actions.
Emily est devenue partie intégrante du culte sexuel d’Omi et Aka après s’être séparée de sa vie avec son mari et sa fille. Elle considère leur tutelle comme inestimable, ce qui la pousse à aspirer à retourner dans la communauté après avoir été bannie du groupe. Même après avoir quitté la secte, Emily s'engage dans sa mission et part à la recherche de la personne qui pourra ramener les gens de la mort. L'adepte dévouée chérit le bonheur et danse euphoriquement lorsqu'elle trouve un moyen de retourner dans la communauté plutôt que lorsqu'elle atteint la liberté. Pour une telle personne, la gentillesse est aussi une sorte de dépendance.
Dans ces trois récits, la gentillesse est exprimée, perçue et atteinte de manière très non conventionnelle. Cette qualité particulière est attachée à la domination, à la cruauté et à la manipulation, qui sont généralement considérées comme des aspects négatifs de la vie. En présentant ces « types/espèces » de gentillesse, le film de Yorgos Lanthimos nous demande si elle peut exister sans attachements positifs.